QUELQUES ELEMENTS MARQUANTS DE LA VITICULTURE DE LA BULGARIE Alain CARBONNEAU Professeur de Viticulture – Montpellier SupAgro La Bulgarie est un Pays de l’Europe, à la fois orientale avec des racines slaves et un environnement continental, et méridionale avec des marques ottomanes ou grecques et un environnement méditerranéen. Sa reconversion générale à partir d’un régime soviétique strict à un mode occidental européen est en marche. La Bulgarie, du fait de son potentiel original en matière de culture et de sa position stratégique aux marches de l’Union européenne, peut apporter beaucoup à l’ensemble européen. Comme c’est généralement le cas, la Viticulture traduit dans ses paysages et ses vins l’âme d’un peuple et d’un pays. La Viticulture de la Bulgarie ne fait pas exception. En voici, brièvement résumés, quelques éléments marquants. Le français étant, parait-il, peu doué pour la géographie et à peine mieux pour l’histoire, il convient de commencer la présentation de la Viticulture bulgare par l’examen de la carte ci-jointe. La capitale Sofia est située à l’ouest du Pays, en marge des Balkans dans une région de collines historiquement relativement protégée, en position équilibrée entre, au nord-est le grand couloir central européen du Danube, et au sud-est le couloir de la Marica, autre fleuve débouchant sur la Mer noire en direction d’Edirne, première capitale de l’empire ottoman et détentrice d’une des plus belles mosquées du monde. La Viticulture bulgare se distribue en 5 régions : Région septentrionale: Cette région continentale regarde la vallée du Danube et apparaît comme une continuité de la Viticulture de la Serbie avec en son nord la germanique Vojvodine. Pleven avec sa célèbre station de recherche vitivinicole en est le cœur. Région méridionale: Elle est aussi continentale et bordée par le Danube; Sumen est au centre de ses vignobles. Elle est surtout marquée par son débouché sur la mer noire avec le grand port de Varna, et plus au sud les sites touristiques de la baie de Burgas et du promontoire de Pomorié. Région sous - balkanique: C’est la zone montagneuse de la Bulgarie avec, au centre l’arête montagneuse qui prolonge à l’est le secteur de Sofia (son Université s’intéresse aussi à la Vigne et au Vin), et au sud une seconde chaîne formant avec la première une sorte de pince ouverte sur la mer noire. Région du sud-ouest : Elle fait frontière avec la Macédoine, et comme la précédente fait partie de l’ensemble montagneux des Balkans. L’été y est très chaud. Région méridionale : Elle est nettement proche des Pays voisins, Grèce et Turquie. Son climat est le plus typiquement méditerranéen de la Bulgarie. Plovdiv avec sa station vitivinicole en est le cœur. Même si, comme dans la région du sud-ouest, les influences grecques sont visibles – par la présence de monastères orthodoxes en particulier – le débouché naturel est la Turquie occidentale ou la Thrace turque, avec le carrefour d’Edirne. La Viticulture bulgare a des origines très anciennes comme en attestent l’existence de vieux cépages autochtones (rappelons que la Mer Noire et les Balkans sont sans doute des centres d’origine secondaires du Vitis vinifera, relais du centre d’origine principal en Transcaucasie), mais son véritable développement a commencé au milieu du XIXe siècle après la libération du joug ottoman (qui n’a d’ailleurs probablement pas détruit la Viticulture traditionnelle, mais l’a maintenue dans un contexte général d’asservissement politique et économique), et surtout à partir des années 1930 avec la planification soviétique. En effet, l’URSS avait lancé de vastes programmes de plantation de vignobles standards (vignes larges à 3m d’écartement entre rangs compatibles avec l’utilisation des ‘petits’ tracteurs standards de l’usine de Kiev, sommairement palissées sur support en piquets en béton non moins standards). Même si ces choix techniques viticoles étaient simplistes et loin de l’optimum requis pour la qualité des raisins, ils ont eu le mérite d’être économiquement supportables et aptes à assurer un essor rapide de la viticulture. La Bulgarie était (et le reste encore en grande partie) considérée par Moscou comme le vignoble premier du monde soviétique. Les types de vins étaient imposés pour être conforme au goût dominant du consommateur russe, par temps froid notamment, ce qui explique la puissance et la valeur énergétique de certains vins. NB: Afin d’illustrer ce propos, je rapporte ici une anecdote personnelle survenue lors de ma mission en Bulgarie en 1983 avec le Professeur Denis Boubals. Dans une cave près du Danube au sud de Pleven, on nous présenta le vin à succès sur le marché de Moscou qui faisait entrer pas mal d’argent à cette cave coopérative. L’étiquette déjà annonçait la typicité du breuvage: un ours rouge, crocs menaçants, sur fond noir, flanqué du nom Cabernet-Sauvignon et de quelques autres en cyrillique! Notre collègue Boubals cria ‘à l’assassinat’! Le connaissant à peine à l’époque, j’en fus un peu choqué; mais, oh combien, je le rejoignis après avoir ’tasté’ ce breuvage: «vin rouge, épais, ‘alcooleux’, sucré, confituré, gazeux, à l’attaque – il est vrai – très animale, avec une finale boisée indéfinissable»! Mais nous n’étions pas dans les bonnes conditions de la consommation d’un vin, image d’un ours au fond des bois, occasion que nous pouvions imaginer être une réunion entre camarades à la terrasse d’un café de la place rouge par –20°c’ sous abri atomique’… Cette stratégie globale de ‘marketing soviétique’ était d’ailleurs à l’époque tout à fait fondée pour la Viticulture bulgare, même s’il ne faut pas négliger l’apport d’autres Pays de l’ex-bloc soviétique, et s’il faut y mettre à part de grands pays viticoles, mais moins dociles politiquement, comme la Roumanie ou la Hongrie. De cette époque, en tout cas, date le développement des cépages internationaux qui, eux, ont été des choix tout à fait pertinents. Et, au-delà de l’anecdote pré - citée et de quelques autres expériences douloureuses pour le palais et l’estomac, celles de vins blancs trop acides et pas assez nets notamment, force est de reconnaître que la Viticulture bulgare a toujours offert et offre de plus en plus des vins de qualité souvent à grande expression de typicité. Ceci s’explique par une rationalisation d’abord des caves et ensuite, plus progressivement, des vignobles qui s’améliorent techniquement sur tous les plans, avec l’application de formules mieux adaptées aux productions de qualité, et la redécouverte des terroirs régionaux. Le rapport qualité/pris des bons vins bulgares est souvent très attractif. La filière vitivinicole bulgare est organisée et a établi finalement assez tôt, avec la loi de 1978, une série de catégories garantissant l’origine et la qualité des vins: les «vins de pays»: catégorie proche du modèle français; les «vins de cépage»: soumis à une réglementation plus stricte et un cépage unique; les «vins supérieurs»: de plus grande qualité; les «vins Controliran»: correspondant à des appellations et théoriquement à des hauts de gamme; il est à noter que ce niveau affiché est parfois l’objet de désillusions, certains vins de pays ou de cépage étant jugés meilleurs (rappelons que ceci s’observe souvent aussi en France). NB: il existe aussi deux mentions particulières sur les étiquettes selon le vieillissement du vin, «Réserve» et «Réserve spéciale». Visitons ces vins au travers des cépages avec quelques références au lieu de production. L’encépagement de la Bulgarie est riche; il peut être ainsi classé: - Cépages internationaux (français):
- Le Cabernet-Sauvignon occupe le premier rang car c’est lui qui a fait connaître la Bulgarie sur le plan international. Il y est en fait planté depuis fort longtemps.Les grands Cabernet-Sauvignon bulgares se trouvent dans plusieurs régions, mais la référence traditionnelle depuis les années 1970 est sans doute en région septentrionale le secteur de Souhindol au sud de Pleven, avec les vignobles de Souhindol et Pavlikeni. Les connaisseurs les décrivent généralement comme puissants, structurés, marqués en bouche par un fruit plein, cassis, tiré du chaudron à confiture’. L’élevage en barrique est souvent réussi. D’autres Cabernet-Sauvignon sont plus commerciaux: légers, souvent peu végétaux ‘poivron vert’, et davantage orientés vers le petit fruit rouge comme la groseille ou le cassis. - Le Merlot a très vite complété le Cabernet-Sauvignon recherché pour sa forte typicité aromatique. Le Merlot apporte beaucoup de rondeur en même temps que du fruité. Il réussit très bien dans de nombreux vignobles bulgares, seul ou en assemblage. Un des Merlot les plus célèbres est celui de Stambolovo dans la partie sud de la région sous-balkanique. - LeSyrah: nous n’avons pas beaucoup d’indications sur ce cépage; mais rien ne s’oppose à sa réussite dans certains terroirs bulgares. - Le Pinot noir: même chose, rappelons simplement l’excellence de certains vins de Pinot noir, dans une région relativement proche, au Kosovo, en altitude dans un environnement de chêne banc et de sol argilo-calcaires caillouteux. - Le Chardonnay est cultivé avec succès en Bulgarie, en particulier dans sa partie orientale comme à Varna où son vin est réputé pour son équilibre et la finesse de ses arômes. - Le Sauvignon s’est également développé, sans atteindre, semble-t-il la réputation des meilleurs Chardonnay. NB: Quelques autres cépages rencontrés en France sont plantés, comme le Riesling (rhénan, pour ne pas le confondre avec le Riesling italien) qui exprime bien sa typicité acide, végétale, fruitée et minérale, l’Aligoté ou l’Ugni blanc (en particulier pour des eaux-de-vie). - Cépages du Danube et d’Europe centrale: De grands cépages existent en Europe centrale, dans le couloir du Danube; ils se retrouvent naturellement en Bulgarie dans ce même couloir:
Cépages blancs: - Le Rkatziteli est particulièrement bien adapté aux climats continentaux, ce qui explique sa grande aire de culture en Europe centrale jusqu’en Ukraine, en Russie ou en Géorgie, même si ses vins manquent souvent de typicité. - Le Welschriesling (ou Riesling italien/italico, ou Olazriesling en Hongrie), très tôt installé par des vignerons germaniques capable de produire d’excellents vins tranquilles, secs ou liquoreux, ou effervescents, avec des arômes fins floraux et fruités, et une fraîcheur d’amande amère - Le Muscat Ottonel, très apprécié pour sa finesse et sa fluidité dans tout le ‘Danube’ a fini par échouer en Alsace où en assemblage avec le Muscat à petits grains d’origine méditerranéenne, il produit les délicats ‘Muscats d’Alsace’. Cépages noirs: - Le Gamza (ou Kadarka en Hongrie et Roumanie) est quelque part le «Rkatziteli noir» en raison de son adaptation et de sa productivité; l’examen de ses aptitudes au sein de l’essai international d’Ecologie viticole organisé par Pierre Huglin, avait abouti à la conclusion imagée de «Carignan du Danube». - D’autres cépages noirs d’Europe centrale, très précoces, se trouvent avec une moindre importance, comme le Portugais bleu ou le Limberger. - Cépages bulgares autochtones:
La Bulgarie possède de grands cépages autochtones, et il est à souhaiter qu’une véritable politique de terroir s’appuie sur ces cépages pour représenter l’image de la Bulgarie, même si la Cabernet-Sauvignon, le Merlot ou le Chardonnay restent des réussites d’adaptation et dans une certaine mesure d’originalité. Cépages noirs: - Le Mavrud est certainement le grand cépage noir bulgare. Rustique et bien adapté au vignoble, il produit des vins à forte typicité, riches, marqués par l’arôme de prune. Ses bons résultats se retrouvent dans de nombreux vignobles bulgares. - Le Pamid est semble-t-il le cépage indigène le plus répandu. Les vins sont plus légers, et une bonne maîtrise technologique permet d’élaborer des vins vifs et brillants. - Le Melnik (ou Melnishka losa) donne des vins puissants et fruités, aptes au vieillissement. Cépages blancs: - Le Dimiat est certainement le grand cépage blanc bulgare (il se retrouve aussi un peu en Roumanie). C’est un cépage qui produit des vins aromatiques – souvent d’une grande finesse et d’une bonne persistance en bouche – à bon équilibre, ceci même à fort rendement. Il s'assemble très bien avec d’autres cépages comme les Riesling. C’est un cépage à polyvalence exceptionnelle puisqu’il peut être utilisé comme raisin de table (raisins allongés, à peau fine, juteux, aromatiques), comme raisin de cuve apte à produire, soit des vins aromatiques fins de qualité, soit des vins effervescents d’excellente facture (en assemblage avec un cépage donnant un peu plus de structure ou d’acidité), soit des vins de chaudière pour des eaux-de-vie fines. - Le Red Misket, cépage musqué développant fortement le fruité, différent des autres ‘Muscats’ connus semble-t-il. Voici un panorama de la Viticulture de la Bulgarie. Ce Pays est désormais bien connu pour ses vins, aussi pour son agressivité commerciale sur le marché international, sa volonté de compter dans l’Europe viticole. Il a de grands cépages et sans doute aussi de grands terroirs. L’influence germanique au nord y est très présente; au sud l’accent méditerranéen y est répandu. L’approche globale de la filière est tout de même de forte inspiration française. Les contacts avec notre filière et notre recherche se sont sans doute un peu distendus. Il est temps de les renouer, et d’œuvrer avec nos collègues bulgare pour qu’ils recherchent mieux leur identité au-delà des vins de cépages internationaux: ils ont leurs cépages et leurs terroirs! |